Les voitures autonomes seraient déjà plus sures que les conducteurs humains
Les voitures autonomes ont le potentiel de sauver d'innombrables vies. Etant donné les données existantes très rassurantes en comparaison des conducteurs humains, il est urgent d'accélérer les tests.
Le mois d'août a marqué un tournant important pour les expérimentations de taxis autonomes aux Etats-Unis. Alors que le régulateur californien a ouvert la voie à la monétisation des services de taxi autonome, des accidents sérieux sont survenu qui ont impliqué les véhicules autonomes de l’entreprise Cruise. En réponse, les autorités ont exigé une réduction de moitié du nombre de taxis autonomes de l’entreprise californienne en circulation à San Francisco1.
La volonté des autorités de contraindre et ralentir une innovation telle que les voitures autonomes est compréhensible lorsque des accidents sérieux surviennent qui émeuvent le public. Mais est-ce rationnel ? Faut-il interdire les voitures autonomes dès lors que des accidents surviennent ?
Dans un fantastique papier intitulé Driverless cars may already be safer than human drivers, le journaliste Timothy Lee rappelle que l’objectif pour les véhicules autonomes n’est pas d’atteindre une sécurité absolue illusoire, mais d’obtenir une conduite autonome qui soit au moins aussi sure que celles des conducteurs humains. Interdire une nouvelle technologie au nom des risques qu’elle fait peser nous empêche de tirer les bénéfices que celle-ci peut nous apporter, en particulier ici en matière de protection de la vie humaine.
Timothy Lee a analysé les données issues des essais en conditions réelles de voitures autonomes des entreprises Cruise et Waymo qui totalisent à ce jour 12,8 millions de kilomètres parcourus, dont 6,4 millions à San Francisco. Grâce au fait que l’autorité californienne requiert une transparence totale sur chaque accident impliquant une voiture autonome, le journaliste a pu mener une enquête détaillée.
Pour ce papier, j'ai examiné chaque rapport d'accident déposé en Californie cette année par Waymo et Cruise, ainsi que les rapports que chaque entreprise a rédigés sur les performances de leurs véhicules autonomes (sans conducteurs de sécurité à bord) avant 2023. Au total, les deux entreprises ont signalé 102 accidents impliquant des véhicules sans conducteur.
Cela peut paraître beaucoup, mais ces incidents se sont produits sur environ 9,6 millions de kilomètres parcourus. Cela revient à un accident pour chaque tranche de 96 000 kilomètres, soit environ cinq années de conduite pour un automobiliste humain moyen.
Il s'agissait majoritairement de collisions à faible vitesse ne présentant pas de risque sérieux pour la sécurité. Une large majorité semblait être la faute de l'autre conducteur impliqué. Ceci est particulièrement vrai pour Waymo, dont les plus grandes erreurs de conduite incluent un accrochage latéral avec un caddie abandonné et un accroc à un pare-chocs de voiture garée en se garant au bord du trottoir.
Le bilan de Cruise n'est pas aussi impressionnant que celui de Waymo, mais il y a tout de même des raisons de penser que sa technologie est au moins aussi performante — voire supérieure — à celle d'un conducteur humain.
Les voitures autonomes de Waymo sont déjà très sures
Dans l’analyse rigoureuse des véhicules autonomes (VA) de Waymo conduite par Timothy Lee, plusieurs tendances se dégagent en matière de sécurité et de capacités de navigation. Au cours de son premier 1,6 million de kilomètres, principalement dans la banlieue de Phoenix, la plupart des 20 accidents impliquant un VA de Waymo sont survenus alors que la voiture de l’entreprise californienne était en position passive dans des collisions à faible vitesse, avec seulement deux cas où ils étaient à l'origine de l'accident.
Les incidents plus graves étaient en grande partie dus à des erreurs humaines de la part d'autres conducteurs, comme un carambolage par l'arrière alors que le conducteur était distrait par un téléphone.
Le talon d'Achille de Waymo semble toutefois être la reconnaissance et l'évitement d'objets inanimés; en effet ses véhicules ont percuté des éléments comme des pylônes de construction et des chariots de courses laissés à l’abandon, tous à des vitesses modérées entre 13 et 20 km/h.
Concernant les performances du véhicule à San Francisco en 2023, la difficulté de Waymo à éviter des objets inanimés a persisté. Les VA de l'entreprise ont heurté des débris de carton sur la route ainsi qu'une chaîne reliant un panneau à un poteau temporaire, où la faute revient clairement à Waymo. De plus, les VA de Waymo ont été impliqués dans des éraflures de véhicules garés à deux reprises. Au total, seuls 5 de ces accidents étaient clairement dus aux robotaxis.
Concernant le reste des accidents à SF, le dossier suggère que les autres conducteurs étaient en faute, percutant souvent les Waymos par l'arrière ou les éraflant lors de manœuvres à faible vitesse. Deux accidents graves se sont produits, dont un impliquant un blessé signalé parmi les passagers, mais là encore, les VA de Waymo n'étaient pas responsables.
Enfin, un incident significatif impliquant la mort d'un chien est survenu en Mai dernier2. Waymo, dans une déclaration officielle, a exonéré à la fois son logiciel et tout conducteur humain hypothétique de la possibilité d'éviter l'incident. Un examen rigoureux et indépendant de cet incident reste néanmoins indispensable.
En résumé, la flotte de véhicules autonomes de Waymo a connu :
17 collisions à faible vitesse où un autre véhicule a percuté un Waymo à l'arrêt
9 collisions où un autre véhicule a embouti un Waymo par l'arrière
2 collisions où un Waymo a été accroché latéralement par un autre véhicule
2 collisions où la roue d’un Waymo a été coupée et le VA n’a pas pu freiner assez rapidement
2 collisions à faible vitesse avec des véhicules à l'arrêt
7 collisions à faible vitesse avec des objets inanimés tels que des caddies et des nids-de-poule
Timothy Lee note deux choses à remarquer à propos de cette liste. Tout d’abord, d'autres véhicules sont entrés en collision avec des Waymo 28 fois, contre seulement quatre fois où un Waymo est entré en collision avec un autre véhicule (et Waymo affirme que la roue de son véhicule a été coupée dans deux de ces cas). Par ailleurs, les VA de Waymo n'ont été impliqués que dans trois ou quatre accidents « graves », et aucun d'entre eux ne semble être de la faute de Waymo.
Ces chiffres sont impressionnants étant donné qu’ils reflètent plus de 3,2 millions de kilomètres parcourus par les VA de Waymo. Si ces véhicules conduisaient aussi mal que les humains, ils auraient été impliqués dans 8 accidents sérieux pour la même distance parcourue3. Le journaliste américain note que ce dernier chiffre est probablement sous-estimé car tous les accidents impliquant des conducteurs humains (y compris les plus graves) ne sont pas rapportés à la police.
Les circonstances dans lesquelles les VA de Waymo ont conduit n’étaient en outre pas idéales : les robotaxis évitent les autoroutes qui sont plus sures, et San Francisco est « plus chaotique que la plupart des villes américaines ».
Des performances un peu moins bonnes pour Cruise
Le journaliste américain Timothy Lee a ensuite analysé les données pour l’entreprise Cruise, filiale de General Motors, dont les véhicules autonomes ont parcouru 6,4 millions de kilomètres à San Francisco. La comparaison avec Waymo, filiale de Google, révèle des nuances notables. Le journaliste souligne néanmoins que Cruise a opéré depuis le début dans l'environnement urbain complexe de San Francisco, contrairement à Waymo, qui a débuté dans les banlieues plus clémentes de Phoenix.
Ajusté pour la distance parcourue, le taux d'accidents mineurs de Cruise est proche de celui de Waymo. Par exemple, les VA de Cruise ont été percutés par l'arrière 17 fois sur environ 6,4 millions de kilomètres, tandis que les véhicules Waymo ont subi le même sort 7 fois sur approximativement 3,2 millions de kilomètres.
Toutefois, l’analyse des données de Cruise révèle des accidents significatifs où les robotaxis de l’entreprise étaient clairement en faute. Ces erreurs, notamment des erreurs de jugement liées aux mouvements d'autres véhicules, semblent plus graves que les erreurs commises par Waymo.
Les VA de Cruise ont en particulier éprouvé des difficultés aux intersections, ayant été impliqués dans plusieurs collisions avec des cyclistes et des véhicules en infraction. Bien que presque tous ces incidents peuvent être attribués aux comportements fautifs d'autres usagers de la route, il est notable que Waymo n'a enregistré aucun accident similaire.
Il serait tentant de réduire ces disparités au contexte géographique, Cruise ayant opéré 100% du temps à San Francisco, une ville notoirement chaotique en matière de circulation. Toutefois Waymo a déployé une technologie novatrice, fondée sur des années de simulations basées sur des données d'accidents mortels, pour anticiper les comportements à risque et améliorer la réactivité de ses systèmes autonomes dans les secondes qui précèdent des potentiels accidents. Dans 82 % des cas, le logiciel de Waymo était capable d’empêcher un accident dans les situations de comportement à risque des autres utilisateurs de la route.
À la suite de la collision entre un véhicule Cruise et un camion de pompiers le 17 août [NDLR : à une intersection], Waymo a confié à l'analyste industriel Brad Templeton que ses véhicules auraient géré la situation de manière plus adéquate que ne l'a fait Cruise :
« Lorsque nos véhicules détectent le hurlement des sirènes, ils ralentissent avant de s'immobiliser ou de se ranger sur le côté de la route, notamment à l'approche des intersections où pourraient surgir des véhicules d'urgence, même si le feu est vert pour nous. Le système est conçu pour faire preuve de prudence et s'abstenir de traverser une intersection si une évaluation est encore en cours quant à l'approche éventuelle d'un véhicule d'urgence, et ce, en fonction des informations sensorielles collectées. »
Je suis enclin à penser que c'est précisément ce genre de technologie qui explique pourquoi Waymo a réussi à éviter des accidents majeurs aux intersections. Les véhicules de Waymo, non seulement obéissent scrupuleusement au code de la route (comme l'arrêt aux feux rouges), mais cherchent également à anticiper et à éluder les situations périlleuses (telles que les véhicules brûlant les feux rouges).
En fin de compte, il semble bien que les véhicules autonomes de Waymo soient plus sûrs que ceux de Cruise. Ceci n’est pas surprenant pour Thimothy lee, qui rappelle que Waymo a pris forme en tant que projet Google dédié à la conduite autonome plusieurs années avant la création de Cruise.
En 2020, Waymo a annoncé avoir réalisé environ 32 millions de kilomètres de tests sur la voie publique (la grande majorité effectués avec des conducteurs de sécurité dans la voiture). La même année, Cruise a franchi le seuil des 3,2 millions de kilomètres.
En résumé, Waymo a investi plus de temps et de ressources dans le développement de sa technologie. Il aurait été étonnant que cet investissement considérable ne se traduise pas par des performances nettement supérieures.
Les VA de Cruise restent malgré tout plus sûrs que les conducteurs humains
Les véhicules autonomes de Cruise n’ont néanmoins pas à rougir face aux conducteurs humains. Un problème fondamental des comparaisons entre la conduite autonome et la conduite humaine est la sous-estimation du nombre d’accidents impliquant des chauffeurs humains.
L’entreprise a donc mené une étude de 9 millions de kilomètres de données de chauffeurs de VTC et en a conclu que des collisions impliquant ces chauffeurs à San Francisco se produisent environ tous les 32 000 kilomètres.
Sur la base de ces données, Cruise a affirmé que, sur ses premiers 1,6 million de kilomètres, ses véhicules ont eu 56 % moins d'accidents par kilomètre qu'un conducteur humain typique. De plus, Cruise a estimé que ses voitures étaient 73 % moins susceptibles d'être impliquées dans un accident avec un risque de blessure grave et 93 % moins susceptibles d'être le "contributeur principal" à un accident.
Bien qu’il faille être prudent avec une étude produite par l’entreprise elle-même, le journaliste note que ces chiffres paraissent raisonnables. A l’aide de l’analyse des rapports d’accidents, il semble en effet que les robotaxis de Cruise conduisent déjà mieux que le conducteur humain moyen.
Ne ralentissons pas le progrès
Lorsqu’il s’agit de décider de l'avenir des services de véhicules autonomes tels que Waymo et Cruise, il semble impératif de considérer non seulement la performance en matière de sécurité actuelle de ces technologies, mais également leur potentiel d'évolution.
Timothy Lee souligne que l'accès aux voies publiques constitue une condition sine qua non pour l'optimisation des systèmes de conduite autonome. En effet, l'expérience in situ sur les routes publiques permet une adaptation des VA aux contingences réelles inaccessibles en environnement de laboratoire.
Par conséquent, une restriction de l'accès de Cruise aux voies publiques, par exemple suite aux incidents du 17 août dernier, aura des conséquences dommageables à long terme et coûteuses en vies humaines. En effet ces restrictions entravent le développement de technologies potentiellement beaucoup plus sûres que la conduite humaine qu’elles cherchent à remplacer.
Il semblerait que les voitures autonomes de ces 2 entreprises ont déjà atteint l’objectif d’être aussi sures ou même meilleures que le conducteur humain moyen. Plutôt que des restrictions, une accélération des tests en conditions réelles permettraient de rendre ces systèmes encore meilleurs et remplacer d’autant plus de conducteurs humains, et donc sauver d’autant plus de vies.
Cela étant dit, la question de la transparence demeure centrale pour Timothy Lee. L'initiative de la Californie, qui publie en ligne tous les rapports d'accidents impliquant Waymo et Cruise, devrait être érigée en standard et éventuellement étendue pour inclure des enregistrements vidéo de chaque accident. Cette transparence accrue servirait non seulement à corroborer les affirmations des entreprises, mais aussi à améliorer la confiance de la population, essentielle pour l'adoption généralisée de cette nouvelle technologie extrêmement prometteuse tant pour la sécurité que pour le confort humain.
Estimation issue des chiffres de la National Highway Traffic Safety Board américaine